Sa bonté lui a acquis le surnom de Bienfaisant qui est à mon sens le plus grand et le plus beau des titres pour un Roi.1
Madame de Pompadour

Ce ne fut pas de gaieté de cœur que les Lorrains ont appris la nouvelle de la venue d’un nouveau maître de leur province : un ancien Roi de Pologne et le beau-père du Roi de France.
Profondément attachés à la dynastie régnante de Lorraine, ils se montrèrent particulièrement soucieux lors du mariage du jeune Duc François III et de Marie-Thérèse, l’archiduchesse d’Autriche.
Cette inquiétude occupa aussi l’esprit de Louis XV et de ses conseils. L’union du Duc de Lorraine avec une descendante des Habsbourg, éternels ennemis de la France, risquait de lui attirer des ennuis.
Pour cette raison Louis XV ne souhaitait pas avoir l’Empire austro-hongrois devant sa porte.
A ce moment-là, une occasion inespérée se présenta devant le monarque français qui lui permit de régler magistralement ce dilemme.
Il profita d’un nouvel échec de son beau-père à l’élection d’un nouveau roi de Pologne et négocia avec Marie-Thérèse son désintéressement des affaires de Pologne contre la liberté d’ingérence de l’Autriche dans la politique intérieure polonaise. Il y rajouta aussi la Toscane comme monnaie d’échange.
En contre-partie l’empereur François cédait son titre de Duc de Lorraine et de Bar à Stanislas Leszczyński qui conservait en même temps celui de Roi de Pologne.
Après sa disparition, la Lorraine devait être rattachée définitivement à la France, son acquisition étant considérée comme la dot de la reine Marie Leszczyńska.
Installés successivement, à Chambord et à Meudon, Stanislas et son épouse Catherine ne devaient arriver en Lorraine qu’en avril 1737.
Le Roi et la Reine de Pologne reprirent le château des Ducs de Lorraine à Lunéville, dont ils ont fait leur résidence principale.
Issu d’une famille aristocratique du Palatinat de Grande Pologne aux traditions patriarcales, Stanislas avait pris pour devise que « un roi doit aimer sa famille et vivre pour ses peuples ».
En dehors de son intérêt pour la littérature, les sciences et le bâtiment, la musique lui tenait particulièrement à cœur, parmi les arts2.
« Il avait le goût délicat et sûr en musique et il en était un grand amateur (…) Gourmet et gourmand qu’il était, Stanislas avoua un jour qu’il préférait l’harmonie d’un concert à la somptuosité d’un repas : « J’aime mieux retrancher un plat de ma table qu’un instrument de ma musique».3
Fidèle à lui-même, le Roi décida de faire venir rapidement des musiciens et chanteurs pour sa nouvelle Cour en Lorraine.
Des musiciens célèbres au service du nouveau Duc
Organisation de la vie musicale
Il confia le recrutement des musiciens au fameux violoniste et compositeur, Jean-Baptiste Anet (1676-1755), et l’organisation de la vie musicale à Louis-Maurice de la Pierre (1697-1753), qu’il nomma Intendant de la musique de la Cour de Lorraine.
Le roi fit connaissance de ces deux artistes à Chambord, au temps où Louis XV, après avoir épousé sa fille Marie, lui donna ce château en résidence.
Louis-Maurice descendait d’une famille de musiciens et danseurs de Toulon et était le fils de Maurice de la Pierre, gentilhomme de la Vénerie du Roi, demeurant à Chambord4.
Jouant essentiellement du violon, le jeune de la Pierre se mit au service de Stanislas qu’il suivit ensuite à Meudon où le roi s’installa après sa défaite à l’élection polonaise.
Anet et de la Pierre, dotés de charges importantes, se mirent au travail, dès que la résidence de Lunéville du nouveau Duc de Lorraine fut prête pour accueillir des artistes.
Jean-Baptiste Anet recruta sept chanteuses, deux haute-contres (voix masculine très aigüe), trois haute-tailles (ténors légers) et quatre basse-tailles (barytons) pour le chant.
Le premier orchestre était constitué d’une dizaine de violons, deux hautbois, cinq basses de violon, deux bassons, un cor de chasse et un luth. On ne mentionna aucune flûte dans cet orchestre ce qui peut paraître curieux, car Stanislas lui-même jouait de cet instrument. Nous avons du mal à imaginer qu’il ait pu participer aux concerts en tant que flûtiste.
En quelques années les effectifs de l’orchestre ducal augmentèrent jusqu’à une soixantaine d’instrumentistes ; le nombre d’artistes lyriques se porta à une trentaine. Louis-Maurice de la Pierre en tant que compositeur, vouait un véritable culte à Henry Desmarest, surintendant de la musique du duc précédent, Léopold I.

Très âgé, Desmarest ne pouvait plus continuer à servir à la Cour, néanmoins ses compositions faisaient partie des œuvres les plus jouées au temps de Stanislas, notamment son Te Deum ( peut-être celui, dit de Paris). Il prit sa retraite à Lunéville où il décéda en 1741, à l’âge de 80 ans.
A cause de son admiration pour ce musicien du temps passé, de la Pierre ne sut pas se renouveler ni varier le style de ses œuvres, bien qu’il fût lui-même un compositeur habile. A ses côtés, un altiste belge, Corneil Vanheelen fut nommé directeur de la Musique, chargé de répétitions et de diriger les musiciens pendant les concerts. Vanheelen était un des rares virtuoses de l’alto qu’on appelait encore taille ou quinte de violon.
Il composa plusieurs sonates pour alto et basse continue publiées tardivement chez Girard-Leduc, en 1785.
Les salles de concert
Les concerts et spectacles de Stanislas étaient organisés à Lunéville tandis qu’à Nancy se produisait le Concert Royal, fondé en 1742, sous la protection de la Reine Catherine, épouse de Stanislas.
Son siège se trouvait à l’Hôtel des Pages sur la Carrière. Il fut suspendu pendant plusieurs mois en 1747, après le décès de la Reine de Pologne.
Les concerts reprirent ensuite jusqu’en 1756, l’année où il fut supprimé définitivement ainsi que l’Académie royale de musique fondée par François III en 1731.
Le Concert Royal fut remplacé par un théâtre pour la raison suivante :
« Accord entre les directeurs du Concert ci-devant établi à Nancy et les officiers municipaux, portant suppression du Concert au profit de la Comédie ; cette dernière étant plus du goût général de la ville ».
Les représentations lyriques se donnaient désormais au théâtre de Nancy et à celui de Lunéville.
L’église Primatiale et la Chapelle Royale furent, elles aussi, les lieux de nombreux concerts.
Les musiciens travaillant à la Cour de Stanislas étaient obligés d’assurer la musique dans toutes ces institutions différentes à la fois.
Des instruments, du chant, du théâtre et de la danse
Ainsi Simon Moinot (1699-1773), fut violoniste au Concert Royal et organiste à la Primatiale, Christophe Poirel (1720-1786), claveciniste et violoniste à Lunéville et organiste à la Primatiale.
Le violon tenait une place privilégiée dans les orchestres à partir de cette époque ; en 1762 il y avait dix joueurs de violon engagés par Stanislas, parmi eux : Morel, jouant aussi à la Primatiale, Mercier, Pître fils, employé au théâtre.
Les instruments à cordes servaient beaucoup dans les processions ; en 1755, les musiciens du Concert Royal jouèrent à la procession de la Fête-Dieu.
Parmi les instruments à vents, les plus populaires étaient le serpent (joué beaucoup dans les églises), le basson, le hautbois.
Comme à Versailles et ailleurs à cette époque, il existait en Lorraine des corporations de musiciens groupés par instruments sous le commandement du Grand Maître.
Les plus connus étaient Gréneteau, anoblit par François III, son successeur Jean-Ignace Jeller, originaire de Silésie, puis Julien Baudeu dont la femme, Jeanne Marguerite Mercier, était la violoniste du Concert Royal. Leur fils, Léopold Clément, violoniste lui aussi, entra plus tard à la Chapelle de Louis XVI.
D’autres femmes étaient engagées comme instrumentistes au Concert Royal; on trouve parmi elles le nom d’une ancienne musicienne de Louis XV, Catherine Huaut, entre 1738 et 1741.
Un couple d’artistes attire une attention particulière : le violoniste André-René Cabaret Duronceray (Du Ronceray) et son épouse, la cantatrice Pierrette-Claudine Bied. Tous deux appartenaient à la Chapelle ducale de Lunéville. Leur fille, Marie-Justine passa à la postérité sous le nom de Madame Favart, épouse de Charles-Simon Favart, compositeur et directeur du futur Opéra Comique de Paris.

Elle a bénéficié d’une bourse de Stanislas qui l’envoya parfaire sa formation de chanteuse à Paris où elle commença par se produire sur les Foires parisiennes et ensuite à l’Opéra Comique, sous le nom de mademoiselle de Chantilly. Elle se consacra plus tard à la composition.
La générosité du Roi de Pologne profita à d’autres jeunes talents de Lorraine. Le nom de Jacques Boutet de Monvel mérite qu’on s’y attarde un peu.
Il était le fils de l’acteur François Boutet dit de Monvel issu d’une famille d’artistes de théâtre et des Beaux-Arts, connue depuis près de deux siècles. Après son passage à la Comédie Française, il a été engagé comme directeur des Menus Plaisirs du Roi Stanislas en Lorraine. Son fils, Jacques-Marie vit le jour à Lunéville en 1745.
Très doué pour la comédie, il a reçu une formation d’acteur grâce au financement de ses études par Stanislas.

Il a commencé sa carrière à Marseille en 1768 avant de devenir sociétaire de la Comédie Française en 1772.
Il fut le père de la future Mademoiselle Mars, une des plus grandes actrices françaises à la charnière des XVIII et XIX siècles.
En 1781 de Monvel fut obligé de s’exiler à Stockholm à cause d’une affaire de moeurs. Il y trouva le poste de lecteur du roi de Suède, Gustave III et celui de directeur du théâtre français local.
Il se maria avec l’une de ses comédiennes, Catherine Le Riche de Cléricourt. En 1788 il rentra en France avec sa nouvelle famille.
Il est devenu un auteur prolifique de pièces de théâtre à succès dont Les amours de Bayard, qui a particulièrement plu à la reine Marie-Antoinette.
Il est décédé en 1812. Un lycée polyvalent de Lunéville porte aujourd’hui son nom.
Sa descendance est parvenue jusqu’à nos jours en donnant à la France de nombreux artistes, hommes de lettres et hauts fonctionnaires d’Etat.
L’opéra était bien représenté à la Cour de Stanislas.
L’attention se porte vers le chanteur Singris engagé à Nancy en tant que spécialiste de l’opéra-bouffe italien.
Parmi d’autres solistes, des noms tels que: Amicis, Pignolet, Goujon, mesdemoiselles David, Mercier, Germain et de Amicis.
Louis-Maurice de la Pierre, Intendant de la Musique du Roi Stanislas, fut remplacé à son décès en 1753 par Charles Piton, Maître de la Chapelle du Roi.
Originaire de Bar-le-Duc, Joseph Seurat prit à son tour la direction de la musique de la Chapelle; il se fit déjà connaître comme compositeur de cantates et de messes. Son « Prologue de Palissot » fut joué lors de l’inauguration de la statue de Louis XV à Nancy, en 1755.
Charles Palissot était un dramaturge Nancéien, contemporain de Stanislas.
Léopold Bastien Desormery, né en 1740, fit ses études à la primatiale de Nancy. Parti pour Paris 25 ans plus tard, il exécuta plusieurs motets de sa composition au Concert Spirituel. Ses opéras Euthyme et Lycoris et Myrtil et Lycoris furent représentés de nombreuses fois à l’Académie Royale de Musique en 1776 et 1777.
Il fut remplacé par Jean-Adam Lorenziti, d’origine italo-germanique. C’est à lui qu’incomba l’honneur d’exécuter la partie musicale de la messe d’obsèques du roi Stanislas, à la Primatiale, en 1766.
L’éclat de la Cour de Stanislas attirait aussi des artistes étrangers comme Ignacio Ceceri, l’hauboïste de renom, arrivé en Lorraine avec les chanteurs Maria-Dorothea et Franz Spurni, débauchés de la Cour de Würtenberg. Les Spurni étaient les parents de la célèbre soprano Dorothéa Wendling (1736-1811), qui brilla plus tard comme interprète des opéras de Mozart. Elle avait épousé le flûtiste Jean-Baptiste Wendling, lié d’amitié avec Mozart.

Il était d’usage d’interdire aux chanteurs de théâtre de se produire ailleurs que leur contrat ne le leur permettait.
Ainsi, en février 1758 il fut défendu au sieur de Amicis, à sa fille et au sieur Singris « d’aller chanter dans les maisons particulières leurs opéras-bouffons italiens, à cause du préjudice qu’ils causent à la Comédie ».
Peu de temps après sa venue en Lorraine, Stanislas fit démolir toutes les loges ainsi que la façade du théâtre de Nancy, construit sous le duc Léopold. Les matériaux récupérés servirent à la construction de celui de Lunéville. Elle fut longue et onéreuse.
La nouvelle Comédie fut inaugurée par un spectacle donné le 8 février 1750.
La salle de théâtre qui existe encore aujourd’hui sur la place Stanislas à Nancy fut construite en 1754 et consacrée par la première représentation de la comédie de Palissot Le Cercle, le 26 novembre 1755. La mise en scène était parfaite, les comédiens excellents : le grand Lekain joua cinq fois de suite, comme en atteste le relevé des comptes : « (…) somme payée, en 1765, à la demoiselle Nicetti, directrice de la Comédie, pour l’indemnité des dépenses qu’elle a faites, en faisant revenir à Paris M. Lekain, célèbre acteur, qui a joué cinq jours sur le théâtre de Nancy avec beaucoup d’applaudissements ».
Cette pièce donna suite à une polémique sur une plainte de J. J. Rousseau qui reprochait à l’auteur de tourner en dérision lui-même et ses théories.
Le Prévost, garde du roi de Pologne, était aussi compositeur de musique ; il fit un opéra comique intitulé Les trois rivaux, représenté le 3 juin 1758, devant Stanislas, à Lunéville.
Les danseurs du théâtre de Nancy étaient Gardel, Vincent, Filez ; les danseuses Mme Fleury et Melles Leclerc et Latron.
C’est avant tout les familles Gardel et Gréneteau qui retiennent toute l’attention.
Trois générations des Gréneteau se sont succédés à la Cour de Lorraine comme maîtres de danse et de ballet, en servant tour à tour les Ducs Léopold et François III avant de passer au Roi Stanislas.

Maximilien Gardel (1741-1787), fils de Claude Gardel, directeur des ballets de Stanislas, devint en 1759 danseur et maître de ballet du Roi de France et de l’Académie royale de musique, après avoir été élève du Grand Dupré. Lui aussi aurait bénéficié d’un soutien financier du Roi de Pologne.
Il était spécialisé dans la danse noble et fut le premier danseur à avoir abandonné sur scène la perruque et le masque, obligatoires jusqu’alors. En principe c’était pour se démarquer de son rival, Gaëtan Vestris pour ne pas être confondu avec lui pendant l’exécution de danses.
Il jouait de la harpe et se fit portraiturer avec cet instrument par Nicolas F. Regnault.
Pierre-Gabriel Gardel, son frère cadet et élève, né à Nancy en 1754, s’est inscrit également comme un talentueux danseur de l’Opéra de Paris. Il était aussi compositeur et violoniste au Concert Spirituel.

Programmation des concerts.
La concurrence entre Versailles et Lunéville
Le roi Stanislas avait pour habitude d’écouter de la musique tous les jours. Il fallait de ce fait que les concerts ou autres représentations musicales soient organisés chaque fois qu’il se déplaçait dans l’une de ses demeures secondaires : Chanteheux, Commercy, La Malgrange ou Jolivet.
La majorité des programmes étaient basé sur des oeuvres des compositeurs vivants, lorrains de surcroît. Les autres étaient des compositions de Henry Desmarest, des musiciens versaillais : Jean-Joseph Mouret, Nicolas Bernier, ou encore de ceux du passé, comme l’immortel Lully.
La musique d’agrément fut privilégiée lors de ces concerts. Il s’agissait avant tout de créer le sentiment de bien-être, de plaisir et de divertissement.
Le sérieux était gardé pour la musique de la Chapelle royale lors des offices religieux et des cérémonies d’action de grâces : naissances princières et royales, victoires militaires, processions etc.

Le roi Stanislas était fier de ses artistes :
« La musique de Versailles, quoique composée de sujets de premier mérite (…) lui paraissait inférieure à celle de Lunéville. Louis XV lui ayant demandé si les musiciens lorrains reçoivent de plus gros appointements que les Français : « pas du tout, répondit Stanislas, vous payez les musiciens pour ce qu’ils savent, au lieu que moi, je paye les miens pour ce qu’ils font »5.
La lutherie
Mirecourt et Mattaincourt

La Lorraine était connue pour ses instruments de musique bien avant l’arrivée du roi Stanislas.
Sous son règne, les ateliers continuaient à se développer.
Les luthiers étaient concentrés à Mirecourt et à Mattaincourt, au sud de Nancy.
Les ducs de Lorraine auraient rapporté l’art de la lutherie ultramontaine après leur retour d’Italie au XVI siècle. Durant ce siècle, les traditions italiennes furent rejointes par l’artisanat lyonnais. Cent ans plus tard les familles des facteurs d’instruments de ces villages exportaient déjà une partie de leur production vers l’Europe, dont l’Italie.
Il fallut néanmoins attendre l’année 1732, pour que les luthiers reçoivent leur charte. A partir de ce moment, leur savoir-faire n’aura cessé de croître.
François Lupot dit le premier, né à Mirecourt en 1725, fut le père de fameux luthiers et archetiers : François Lupot le II (1774-1838) et de Nicolas Lupot (1758-1824), appelé le Stradivarius français en l’honneur à son art.

Les frères Lupot portèrent dignement le flambeau des traditions de la lutherie lorraine avant qu’une nouvelle dynastie de luthiers, celle des Vuillaume ne le reprenne tout au long du XIXe siècle.

Tous ces remarquables artisans avaient fini par quitter la Lorraine.
Avec l’essor de la lutherie nationale, leur métier les obligeait à s’établir dans des centres plus importants, comme Paris pour Jean-Baptiste Vuillaume, ou Orléans pour les Lupot.
Il nous reste à croire que les instruments de Mirecourt étaient autant joués par les musiciens du Roi Stanislas que par ceux des ducs de Lorraine jusqu’en 1737.
La facture d’orgue
Le premier orgue connu à Nancy datait du XVI siècle. Il se trouvait en la basilique Saint Nicolas. Il fut détruit au XVII siècle après un pillage de la ville.
En 1642, Chrétien Dognon y construisit un nouvel orgue dans le style français de l’époque.
Après avoir subi quelques dommages du temps, il fut restauré par Jean-François Vautrin, en 1846.
Le roi Stanislas décida la construction d’un grand orgue pour la Cathédrale de Nancy.
Elle fut confiée aux plus illustres facteurs lorrains du moment, les frères Nicolas et Joseph Dupont originaires de Malzéville, auteurs des orgues de Lunéville et de Toul.
Leur nouvel instrument fut inauguré à Nancy en 1757.
J.F. Vautrin, élève des Dupont compléta plus tard les registres existants, notamment par rajout du « jeu de bombarde de la plus grande dimension qui eût jamais existé, c’est-à-dire de 32 pieds ».
Grâce au rapport de restauration et des perfectionnements apportés à cet orgue par le plus éminent facteur d’orgue français A. Cavaillé-Coll, nous savons qu’il s’agit d’un instrument exceptionnel. Son devis datait de 1857.

« Cet orgue, disons-nous, taillé sur de larges proportions et traité par ses constructeurs avec beaucoup de talent et de conscience, a longtemps passé pour un des meilleurs instruments de France. Malheureusement, depuis cette époque, il a beaucoup perdu de son ancienne réputation (…) C’est dans la vue de rendre à cet orgue son ancienne renommée et de le doter de tous les perfectionnements de l’art moderne que nous avons rédigé l’avis ci-après : « Nous ne craignons pas d’affirmer que l’orgue de la cathédrale de Nancy, restauré et perfectionné comme nous le proposons dans notre devis, sera un des plus beaux d’Europe »6.
Les travaux de restauration durent 4 ans et furent terminés en 1861. L’inauguration de l’orgue eut lieu le 21 novembre de ladite année ; il fut joué par Jean-Georges Hess, organiste titulaire de la cathédrale de Nancy.
L’orgue de la cathédrale n’était pas le seul présent du roi Stanislas aux églises lorraines.
Avec la finition des tours de l’église Saint-Jacques de Lunéville par le génial architecte Emmanuel Héré en 1745, Stanislas pensa immédiatement à la doter d’un bel instrument.

Commandé en 1746 à Nicolas Dupont, le nouvel orgue fut inauguré le 21 février 1751.
En fond de toile, on aperçoit une fresque en trompe l’oeil, représentant le paradis ouvert à la musique pour laquelle son auteur, André Joly, s’inspira d’une gravure italienne, « les Noces de Cana ».
L’ensemble du grand orgue figure « parmi les plus beaux et plus importants ouvrages laissés par Stanislas Leszczynski (..) Il est un élément majeur du patrimoine lorrain du XVIII siècle (…) »7.

C’est aussi le seul orgue connu à tuyaux cachés jusqu’à aujourd’hui.
Sainte-Epvre de Nancy possédait un orgue de Nicolas Hocquet, datant de 1622 qui fut transformé par Christophe Moucherel 100 ans plus tard et agrandi en 1760 par Jean-Adam Dingler, un autre facteur du roi Stanislas.
Avec son frère Jean-André, Dingler construisit aussi les orgues du Temple protestant de Nancy.
Les organistes qui se succédèrent dans différentes églises de Nancy à l’époque du roi de Pologne, à part Charles Poirel, étaient : Simon Monot, de la Primatiale, mort en 1773, Nicolas Guilbaut, organiste de la Chapelle de Stanislas et de l’église Saint-Sébastien, décédé en 1767 et enfin François et Louis Marchal, disparus en 1762 pour le premier et en 1783 pour le second.
Avant de terminer ce chapitre, il est important d’évoquer en quelques mots l’histoire des cloches de la cathédrale.
Elles étaient toutes très belles, mais furent cassées par morceaux lors de la Révolution et fondues à Metz.
Une seule, la plus grosse, fut épargnée, celle dont Stanislas était le parrain.
Elle fut conservée pour le service du beffroi et fonctionnait encore à la fin du XIX siècle8.
In fine
Stanislas Leszczyński fut né dans une famille de haute noblesse de l’ouest de la Pologne, aux vives traditions patriarcales.

Toute sa vie, il fut guidé par les principes dont il hérita de ses ancêtres: la Providence nous a fait riches et puissants non pas pour que nous gardions nos richesses uniquement pour nous, mais pour que nous en fassions profiter aussi nos sujets.
Notre fortune doit servir en partie à soigner, nourrir et aider de toute manière que ce soit, les plus pauvres qui vivent sur nos terres.
L’ humanisme dont faisaient preuve les Leszczyński se joignait à la tolérance religieuse, bien que leur piété et attachement à l’Eglise catholique n’eussent jamais cessé.
Le grand-père de Stanislas, Raphaël II Leszczynski était né protestant, avant de se convertir au catholicisme dans la première moitié du XVII siècle.
La tradition voulait tout de même que ses descendants fissent leurs premières études au collège protestant de la ville de Leszno, chef-lieu des terres des Leszczynski.
Tout au long de sa longue vie, le roi Stanislas s’efforça de rester fidèle à ces valeurs qu’il avait aussi transmis à sa fille Marie.
Il fut un des souverains les plus encensés et les plus aimés de son vivant.
Pour célébrer l’érection du monument de Louis XV sur la nouvelle place de Nancy, la poétesse Charlotte Bourette dite la « Muse limonardière » dédia à Stanislas une pièce en vers qu’elle termina ainsi:
Sans craindre qu’un Monarque aussi bon que le nôtre,
Puisse jamais être jaloux des sentiments qu’on a pour vous,
Auprès de sa statue on voudrait voir la vôtre.
Si nous n’avons pas d’hommages écrits des plus humbles de ses sujets, il y en a en revanche beaucoup qui viennent des plus hautes sphères d’Europe.
Frédéric le Grand de Prusse s’exprima dans sa correspondance avec Stanislas : « Votre Majesté donne en Lorraine l’exemple à tous les rois de ce qu’ils devraient faire. Elle rend les Lorrains heureux et c’est là, le seul mérite des souverains ».
Au moment de la fondation par Stanislas de la Société royale des sciences et des belles-lettres en 1750, Voltaire écrivit au roi :
« Je postulerai fort et ferme dans votre Académie. J’aurai le bonheur d’appartenir à un roi qu’on ne peut s’empêcher de prendre la liberté d’aimer ».

L’obséquieux courtisan, le flatteur Voltaire savait employer les mots pour s’attirer la sympathie des rois. Néanmoins il était heureux à Lunéville chaque fois qu’il fut reçu par Stanislas, lors de ses embrouilles avec la Cour de France. Banni de Versailles en 1754, il aurait voulu s’installer en Lorraine auprès du roi de Pologne, mais l’interdiction formelle que Stanislas reçut du roi de France, l’en empêcha. Louis XV se fâcha contre Voltaire pour de bon et ne souhaitait en aucun cas que son beau-père prenne chez lui en exil l’incommode écrivain.
Et Voltaire s’en alla en Suisse… après quelques années passées à la Cour de Prusse.
En séjour à Plombières pour des raisons de santé, Hector Berlioz rapportait dans les lettres écrites à sa sœur, entre août 1856 et août 1857:
« Nous sommes allés cet après-midi à la fontaine Stanislas et jusqu’au gros chêne qui est au-dessus (…)
« En rêvant dans les bois à Plombières, j’ai fait deux morceaux importants : le premier choeur de la Canaille Troyenne et l’Air de Cassandre (…), puis j’ai ajouté deux scènes courtes (…) au commencement du 5e acte (…)
« Je suis allé de grand matin tout seul à la fontaine de Stanislas, j’avais porté mon manuscrit des Troyens, des papiers réglés et un crayon. (…) j’ai travaillé tranquillement devant ce beau paysage jusqu’à 9 heures (du soir) ».
La fontaine Stanislas…
Pourrait-on voir en ce site la source d’inspiration d’un grand musicien, puisée dans l’âme d’un roi-ami des Arts ?9
La ville de Plombières consacra ce lieu exceptionnel, en gravant dans la pierre « sous le gros chêne », un souvenir à la mémoire de Berlioz.

Notes
1 La marquise parlait ainsi du roi Stanislas dans une lettre adressée à la comtesse de Baschi, en 1762.
2 « Génie heureux et inventif, il semblait créer les arts en les faisant produire. Ses talents étaient presque universels ». B. Proyart : Histoire de Stanislas I, 1784
3 Abbé Bonaventure Proyart, op.cit.
4 Communication de Mr Gilbert Rose du 5 novembre 2010: Louis-Maurice de la Pierre, intendant de la musique du Roi Stanislas
5 B. Proyart, op.cit.
6 Albert Jacquot : La musique en Lorraine, étude rétrospective d’après les archives locales imprimerie de A. Quantin, Paris 1882
7 Catherine Guyon : Histoire de l’orgue de Saint Jacques de Lunéville, Association des amis de l’orgue et du patrimoine de l’église Saint Jacques
8 Je n’ai pas réussi à savoir si elle existe toujours. Le témoignage d’Albert Jacquot date des années 1880.
9 La vie de Stanislas donna aussi un sujet d’opéra à Giuseppe Verdi, Le roi d’un jour (1840)
Bonjour Mme. Pasquier. Je m’appel Patrick Jordan, altiste avec l’orchestra baroque Tafelmusik et avec le quatuor a cordes Eybler Quartet; je suis aussi membre de la faculté de l’University de Toronto et l’Ecole Glenn Gould du Conservatoire Royal a Toronto. J’ai lu avec grand intérêt votre article parce que vous avez ecrit de l’altiste et compositeur Corneil Vanheelen, successeur de Louis-Maurice de la Pierre. Avec l’aide de boucoup des collègues j’ai découverte un mystère musicologique – L’ultime sonate pour l’alto et basse de C.G. Vanheelen (publié l’origine par Le Duc, 1785) était publié encore dans un ensemble de deux sonates sous le nom Alessandro Rolla par Artaria, ca. 1804!! Bizzare, mais vrais. L’explication le plus probable est que Artaria a pris la sonate de Vanheelen, mais en l’absence d’informations autobiographiques sur Vanheelen certains de mes collègues proposent que les sonates soient en fait composées par Rolla. Donc, je cherche plus d’information de Vanheelen. Son nom est trouvé dans les listes biographiques de Gregoire, Eitner et Gerber, mais la seule référence pour Vanheelen est les six sonates – aucune date de naissance ou de décès, aucune lieu de naissance. Je suis très intéressé par des informations documentaires sur sa vie et son poste au cour de Stanislau, si vous êtes prêt à partager cela avec moi. J’ai envoyé un courriel similaire aujourd’hui a la bureau de Le conservatoire de Bois-Colombes. Merci!!
J’aimeJ’aime